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Quand la cuisine rencontre l'art: une passion italienne
Il était fait pour être vu: en passant dans les librairies, vous avez sûrement aperçu ce livre imposant, couleur bordeaux, magnifiquement relié avec son titre intriguant "ne jamais faire confiance à un chef italien trop mince".
A gauche : Massimo Bottura • Au milieu : Massimo Bottura et son équipe © Stefano Grazieri • A droite : "Sud" © Carlo Benvenuto
C'est un parti-pris astucieux pour faire sourire le passant et attirer l'attention du futur lecteur qui n'est pas au bout de ses surprises car l'ouvrage est riche en découvertes. À travers 48 recettes emblématiques de l'établissement l'Osteria Francescana, table désormais plus que reconnue de Modène, le livre laisse transparaître une quête, celle du chef Massimo Bottura.
Ce dernier n'a de cesse de revisiter la tradition pour ensuite créer des plats innovants, avec une envie constante de trouver l'élément clé ou le petit plus qui saura sublimer une recette. Chaque met est expliqué à travers son histoire, et l'ensemble de ses récits retrace en filigrane le parcours du Chef. Aux saveurs familières et familiales de cuisine de la nonna, la grand-mère et figure emblématique pour tout Italien, s'ajoute ce "quelque chose" d'indéfinissable qui fait toute la différence et rend un plat spécial. Au-delà de la partie pratique, le livre permet également au lecteur de comprendre la démarche de ce grand Chef afin que sa cuisine ne soit pas hermétique et qu'elle permette de dévoiler l'âme de l'homme au charisme légendaire:
Au fil de ses expériences et de ses voyages, seul ou avec sa brigade, Massimo Bottura a créé un univers, toujours en mouvement. Les nombreuses rencontres qui ont jalonné son parcours constituent des influences perpétuelles: des artistes contemporains notamment, ont contribué à faire mûrir sa réflexion et à forger sa vision, que l'on retrouve dans la décoration de sa salle autant que dans l'assiette. Leur recul perpétuel sur l'œuvre a inspiré le Chef qui a par exemple décidé de "regarder la cuisine de plus de 10 km", suite à un récit que lui a livré le galeriste Emilio Mazzoli.
A gauche : "Via delle Rose" © Stefano Grazieri • A droite : "Veau non grillé sur assiettes peintes psychédéliques" © Carlo Benvenuto
Les très beaux textes qui ouvrent chacun des quatre chapitres et expliquent les recettes, relèvent quasiment d'une dimension philosophique qui aurait pour objectif de nous faire passer un message. Il en est de même pour les photos prises par Stefano Graziani qui, à première vue, peuvent paraître très "crues", avec leur inspiration tirée du réalisme artistique: images de poubelles, de casseroles, de découpes... et qui donnent pourtant à voir et à entendre l'atmosphère en cuisine, dans son ensemble... Quant aux visuels qui illustrent les plats, réalisés par Carlo Benvenuto, ils semblent parfaitement s'accorder au message des recettes: un désir de décor épuré, à l'instar de cette volonté d'aller à l'essentiel, tout en soulignant l'attention portée au détail dans chaque plat.
L'œuvre s'inscrit aussi dans la démarche actuelle du locavore, à savoir la mise en avant des produits du terroir proche ou issus du pays. Massimo Bottura est ainsi parti à la recherche des meilleurs produits de chaque catégorie et il n'a pas hésité à mettre sur sa carte des sardines, simples à travailler et dont on n'attend pas forcément beaucoup, pour montrer que celles-ci pouvaient donner un rendu fabuleux. Par cette démarche, il met une fois de plus en pratique sa volonté d'aller à l'essentiel. Pas besoin de caviar pour satisfaire sa clientèle très exigeante, mais plutôt des plats traditionnels de la cuisine italienne qui, revisités par le maître expérimenté, deviennent des plats-signature.
A gauche : "Cinq âges du parmesan" • A droite : "Camouflage lieÌ€vre dans les bois" © Carlo Benvenuto
Ce visionnaire est ainsi arrivé à créer des recettes étonnantes comme par exemple les "cinq âges du parmesan", où ce fromage, affiné de cinq manières différentes, produit cinq entités différentes: un demi-soufflé, une sauce tiède, une mousse glacée, une gaufrette et un bouillon. Au final, ce met extrêmement élaboré reflète parfaitement l'approche et la quête du chef Bottura. En sortant eux aussi du registre classique des livres de recettes, les intitulés "Oups! J'ai fait tomber la tarte au citron", "Une compression de pâtes et de haricot" et "Comment brûler une sardine" ont l'art de titiller encore plus la curiosité des amateurs de bons plats... peut-être même pour poursuivre le cheminement entamé avec la lecture... jusqu'à la ville de Modène, où officie le maestro.
En dehors du fait que la cuisine est vivante, et qu'elle ne doit donc pas être "enterrée" sous le poids de la tradition, si nous ne devions retenir qu'une leçon de cet ouvrage pétillant, ce serait bien le fait qu'il faut toujours savoir prendre de la distance... et que l'on peut tout à fait faire confiance à un chef italien trop mince, surtout quand il est aussi talentueux.
Ne jamais faire confiance à un chef italien trop mince
Editions Phaidon
PVC: 49,95 euros